De Branovo à Arbonne
Comment mes grands-parents maternels, Anna Gasparikova et Jan Kalina, sont-ils partis du Sud de la Slovaquie pour la forêt de
Fontainebleau ? Tout d'abord, ce ne fut pas un départ unique, une fuite linéaire : en route vers l'ailleurs prometteur des
Etats-Unis>1<, première destination envisagée, ils s'arrêtèrent d'abord en Lorraine - mines contre
carrières ? Puis ils poursuivirent vers la Seine-et-Marne, retournèrent brièvement en Slovaquie, revinrent en France...
leur choix ne s'établit pas plus à l'Ouest. Les carriers candidats à l'émigration, recrutés dans leur pays d'origine, signaient un contrat avant leur départ.
Branovo
>2< - Baromlak en hongrois - est un tout petit village, non loin de Nové Zamky et de la frontière hongroise, dans la région de Nitra.
D'ailleurs, nés au début du XXe siècle, donc dans l'empire austro-hongrois, les enfants de la génération de mes
grands-parents - du moins les garçons - ont été scolarisés en langue magyare ; tous étaient bilingues. Comme de nombreuses femmes de sa génération, ma grand-mère ne savait pas écrire.
On aperçoit ici les maisons traditionnelles, de structure oblongue et de plein-pied, rangées le long de l'unique rue.
Les toits étaient de chaume et surtout d'ancelles de bois, les murs blancs ou de couleurs pastel, souvent ornés de frises tracées au rouleau, comme on en voyait encore il y a peu sur les
maisons de ma grand-tante côté Gasparikova (Magda Melenova)
>3< ou de mon grand-oncle côté Kalina (Laici). Elles ont pratiquement disparu, supplantées
par des habitations confortables et spacieuses, sans caractère. Dans les années 1950, la rue était encore un chemin de terre,
et les sols des maisons de terre-battue.
Dans les années vingt du
siècle dernier, les raisons de quitter la Slovaquie abondent : la famine
>4< sévit dans
le pays ; des familles pléthoriques vivent sur les terres, en l'occurrence riches, mais mal réparties. Voici Anna, ma grand-mère, entourée
des femmes de sa famille et de leurs enfants ; la tribu est aussi conséquente chez les Kalina - on y perd le décompte des enfants ayant survécu ou pas...
Anna (à droite sur la photographie) est très courtisée, notamment par les frères Josef et Jan Kalina.
Josef a cette chance d'être choisi de préférence à Jan comme apprenti chez un maître sculpteur : l'un
restaurera des oeuvres, l'autre taillera des formes simples dans la matière brute...
... mais c'est Jan qui épousera Anna.
Alexander, conçu en France et que ma grand-mère est retournée mettre au monde en Slovaquie, est l'aîné de quatre : mon
cher oncle qui croyait avoir tout oublié du slovaque jusqu'à cette chanson lors du mariage de mon frère... Les conditions
de vie sont telles que mon grand-père, d'une très grande rectitude, a épuisé les solutions pour faire vivre sa famille. Alors, le trio quitte de nouveau la Slovaquie pour la France.
>>> Suite : la carrière en son présent
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1|Une communauté assez importante de Slovaques est installée aux Etats-Unis, essentiellement dans les régions
industrielles des grands lacs. On trouve sur le web une quantité de documents sur le sujet. Notamment celui-ci, assez émouvant,
sur le site de la Library of Congress :
>>> FEDOR, Helen :
The Slovaks in America.
2| Branovo malgré sa modestie, dispose aujourd'hui d'un site web !
>>> http://www.branovo.sk/
3| La frise est assez visible, verticale, sur cette photo (août 1992)
>>> Devant la maison de la Teta Magda.
>>> Zoom sur la fenêtre et la frise.
4| L'effondrement industriel, dans cette contrée déjà peu industrialisée, entraîne un reflux des paysans vers des terres qui ne suffisent plus à cette population, d'autant plus que l'instauration des quotas freine l'immigration vers les Etats-Unis (Cf. Liptak, Lubomir : Petite histoire de la Slovaquie, Paris, 1996.)